jeudi 5 août 2010

Claudie, une amie

Qu'est-ce que tu attends de ce récit de vie ?
J'en attends tellement de choses! Quand j'en ai entendu parler, j'ai voulu faire une sorte d'autobiographie mais le travail me parait tellement énorme que je préfère que ce soit toi qui le fasses.

Est-ce que tu penses qu'en voyant ton histoire écrite, en la lisant comme tu lirais un livre, elle deviendra extérieure à toi?
Je pense que ça m'aidera à me distancer de mon vécu dans lequel je suis plongée jusqu'au cou, si ce n'est plus. En même temps, j'ai peur que ça ne soit pas assez chaleureux, pas assez émouvant, pas assez subjectif. J'ai tant de choses à dire !
.../...

vendredi 1 mai 2009

Hilda


Hilda est venue me voir un lundi matin d'octobre. Son âge ? 83 ans et le goût de vivre d'une jeune fille. Elle voulait écrire son histoire afin de se débarrasser de ce qui l'encombrait depuis tant d'années. Elle avait envie de respirer, enfin, librement.
Depuis ce matin d'octobre, nous nous sommes rencontrées régulièrement, puis irrégulièrement, santé oblige. Le travail avançait doucement. Travail de mémoire pour Hilda, travail d'écoute et de mise en forme pour moi. Nos rencontres lui apportaient un certain apaisement. Le pouvoir de la parole est immense, elle peut détruire comme elle peut soigner. La sienne a toujours été franche, elle a su dire les choses sans détour ni fioriture. Parfois des choses qu'elle n'avait jamais dites à personne et qui resteront à jamais entre nous.
Mais ce qui m'a frappée, c'est la facilité avec laquelle elle s'est confiée à moi. Peut-être était-ce parce que j'étais étrangère à sa vie, à sa famille, à ses relations.
Je retiens de Hilda un grand appétit de vivre et d'être heureuse et, parallèlement, une forte propension à culpabiliser. Rien n'a été vécu à moitié.
En l'écoutant, j'ai vu sa vie se dérouler devant mes yeux. Son récit était extraordinairement vivant. Mais n'était-ce pas tout simplement elle qui est toujours extraordinairement vivante ?

jeudi 24 avril 2008

Marie


Marie, 99 ans - Extraits


Je m'appelle Marie, comme ma mère et ma grand-mère. Je suis née à Châteaulin en mai 1908. Nous étions trois filles. Je suis l'aînée...


...Mes grand-parents et mes parents parlaient breton, ils ne comprenaient pas le français. Moi, je parlais breton chez moi et français à l'école...


... Mon père a fait la guerre de 14, il est allé en Serbie. Je me rappelle des femmes qui pleuraient en entendant les cloches sonner la déclaration de la guerre. Ma mère, elle, est allée travailler à la poudrerie de Pont-de-Buis...


... Mon père a participé à la construction de la ligne de chemin de fer qui allait à Crozon...


... Je suis allée à l'école des soeurs. Elles nous apprenaient à lire et à écrire. Après la classe, à l'ouvroir, on nous apprenait à coudre avec un dé mais sans fil sur l'aiguille. Il y avait la classe des riches et celle des pauvres qui ne pouvaient payer. J'étais chez les pauvres mais on apprenait la même chose...


... Quand je suis sortie de l'école, à 13-14 ans, ma grand-mère qui était couturière dans un hôtel-restaurant, m'a présentée puisqu'ils cherchaient une petite bonne... Je m'occupais des chambres... J'étais bien nourrie, il y avait une bonne cuisinière... Je suis venue à Paris dix ans plus tard. Une femme, dont la soeur habitait Châteaulin, cherchait une bonne... J'y suis restée assez longtemps. J'étais logée, nourrie, blanchie. J'avais une chambre de bonne et je travaillais tous les jours sauf le dimanche après-midi où j'allais au bal à Wagram. Si je n'étais pas rentrée à 7 heures, la patronne faisait la tête. Elle ne disait rien mais elle faisait la tête...

... J'ai connu mon mari à Châteaulin pendant la guerre... Moi, je travaillais dans les tourbières et je m'étais cassé le bras. Il y avait une machine pour faire des carrés de tourbe qu'on devait faire sécher avant de les brûler. Un jour où il manquait un homme pour mettre les pelletées de tourbe dans la machine, j'ai voulu le remplacer. Il y a eu un coup de vent, ma robe s'est prise dans la machine et j'ai eu le bras tout abîmé. Je ne pouvais plus travaillé et bien sûr, je n'était pas payée...


... Quand on m'entend parler, on ne me donne pas 99 ans. Ma langue marche bien. Mes pieds moins bien....

mercredi 2 avril 2008

Christian, Jacques et Hervé

Trois frères, nés en Bretagne, sont venus à Paris pour travailler. Ils en sont repartis et ils racontent... Extraits

J. est arrivé à Paris dans la nuit du 1er au 2 janvier 1962 pour commencer à travailler chez Renault le 2 janvier. Il a ressenti un grand sentiment de vide, une absence de repères qui l'ont fait s'interroger sur son devenir. Le premier week-end, il s'est retrouvé seul dans une chambre d'hôtel avec le problème des repas et le manque d'argent.
C. a choisi de venir sur Paris, ses souvenirs sont différents. Il a eu un environnement familial que J. n'a pas eu.... Ce qui a été le plus dur à vivre, c'était le dimanche, jour d'ennui....
H. a épousé une francilienne et n'a pas eu de difficultés....

J. a vite été mis dans l'action puisque, en pleine guerre d'Algérie et avec les attentas de l'OAS, il a été témoin d'un coup de feu contre le siège GCT Renault... C'est à cette période qu'il s'est syndiqué... il a été délégué du personnel jusqu'à son départ en retraite.
C. n'a pas milité tant qu'il était dans des petits ateliers. Quand il n'était plus content de l'un, il partait chez le voisin et le problème était réglé. 1968 a été l'élément déclencheur et il n'a plus cessé de militer.
H. dès son arrivée chez Renault, a commencé à participer aux mouvements de grève, alors qu'il était encore en période d'essai. Dès l'école, il s'est intéressé à la législation du travail et il a été très surpris, en arrivant chez Renault, de voir que tous les salariés n'étaient pas syndiqués.


J. regrette de n'avoir pas profité davantage de la vie de Paris. A son retour en Bretagne, il a découvert les danses bretonnes, les festou-noz qu'il trouve très chaleureux.
C. n'éprouvait pas le besoin d'aller au théâtre. Il préférait les lieux, les ambiances, les manifestations.
H. a profité largement du théâtre, de la musique, des rassemblements tels la Fête de l'Huma... Son retour en Bretagne lui a permis de voir ce qui s'y passait et de remarquer que la bretonnitude était, de son point de vue, avant tout réactionnaire, même parmi les gens dits de gauche. Pour lui, comme pour C. ça devient inquiétant.

mardi 1 avril 2008

La Villa du Chalet

...A l'entrée, il y avait deux piliers. A droite, un champ.
Prolongeant le champ, il y avait deux jardins. Dans l'un d'eux, cultivé par la famille P. il y avait un poirier. Tous les ans, Monsieur et Madame P. allaient à la cueillette des poires. Le cérémonial était immuable: Monsieur marchait devant avec l'escabeau, Madame suivait en portant le panier. Monsieur montait sur l'escabeau, cueillait une poire et la déposait délicatement dans le panier tenu à bout de bras par Madame. Or, ce jour-là, est passée une locataire amie de Madame qui s'est retournée pour la saluer et la poire qui devait aller dans le panier est tombée par terre.




... Le champ ne servait pas seulement de lieu de réunion les soirs d'été, il a servi d'abri pendant la guerre. Abri creusé par les résidents de la villa. On pouvait y tenir debout ou s'asseoir à des endroits prévus. Il était creusé en zigzag, avec une sortie de secours et étayé de planches fournies par un locataire travaillant dans le bâtiment. Il ne fut pas classé "monument historique"!

Il a été rebouché à la fin de la guerre et n'a laissé aucune trace.



... A cette époque-là, celle des communiants en culotte courte et brassard, des culottes de golfe, il y avait peu de voitures dans les rues et aucune dans la villa. Les enfants pouvaient jouer librement dans le champ que l'on aperçoit au fond à gauche.

C'était l'après-guerre. La vie n'était pas facile.



C'est l'histoire d'une copropriété racontée par trois anciens . Extraits